Août/Septembre

Dimanche 2 août
En route pour le château d'Au.
Vendredi, une chienne de journée à courir aux quatre coins puants de Paris pour se colleter à l'administration. Mon objectif : achever la constitution des deux GIE. Mon cartable bourré des pièces nécessaires, je fonce successivement aux deux centres des impôts, histoire de faire enregistrer les statuts du Groupe Ornicar et de Logires : leur siège social étant dans des arrondis­sements différents, je dois respecter les compétences territoriales. Non seulement c'est moi qui court - le dernier vendredi du mois les fiscqueux des recettes rabattent leur volet à midi tapant les moins cinq - non seulement je dois avaler leur écœurante bêtise, mais en plus je dois payer pour avoir droit à la faible marque d'un gros tampon sur la première page des statuts. Voilà qui fait bougrement bouillir.
Croyant être en possession de tous les éléments pour que la CCI de Paris daigne prendre mes dossiers en vue de l'immatriculation des deux GIE, je me rends rue de Viarmes la conscience apaisée.
Hé ! non, p'tit gars ! Pas encore pour cette fois. Les documents originaux que j'avais apportés la semaine précédente m'ont été renvoyés. Résultat : manque de pièces donc irrecevabilité. Présentez-vous à la case départ la semaine prochaine.

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Château d'O., le 10 août 1992
Recoucou chère Sandre,
Lettre plus entretien : je ne peux être que comblé. J'ai découvert quelqu'un plein de facettes que j'adore par-dessus tout.
Je vois que tes goûts sont divers et que tu tiens comme un roc tes positions.
Je reprends tard dans la nuit du 12 au 13 août la rédaction de cette missive.
Très mordante notre conversation de ce soir sur l'art moderne. Si tu le permets (de toute façon c'est fait puisque tu l'as dans l'enveloppe, et peut-être même sortie, curieuse que tu es) je te joins la copie du texte d'une de mes chroniques pamphlétaires consacrée à Van Gogh. Tu as là un petit aperçu humoristique de ce que je pense de l'approche de l'art aujourd'hui.
Peu importent nos positions, je suis avide de tout connaître et j'ai une attirance sans borne vers les gens vifs et pétillants, ce que tu me sembles bien être. Rien que pour cela, je te remercie de cette conversation un tantinet échauffée.
Je poursuis inexorablement mes œuvres perverses de grand travailleur. Ce n'est que lorsque la nuit est aussi noire qu'un Ougandais (pourquoi pas !) que je peux me laisser aller à te dédier ces lignes.
Sache que j'essaierais de répondre à toutes les questions que tu souhaiterais me poser.
En attendant, je te souffle mon ardente sympathie.
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Samedi 15 août
La seru et la sebm sont fermées depuis le 7 août au soir jusqu'au 24. Je pars moi dès lundi avec Kate dans la Loire. Quelques jours loin des affaires, à user avec passion jusqu'à la dernière seconde.
Dès la rentrée, grosse réorganisation tous azimuts et gros travail de gestion. Je dois aussi songer à cette putain de maîtrise à repasser.
L'actualité me fait chier. Sans l'ombre d'un intérêt pour moi. Ça m'agace même d'assister à ces recommencements infernaux.
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Gare du Nord, le 22 août 1992
Ma chère et déjà adorée Sandre,
Bien reçu ta lettre au charme irrépressible sur, en effet, très beau papier ! Je me répète, le gâtisme doit être pratiqué jeune pour mieux être maîtrisé, mais la caresse de ton écriture, aux courbes alléchantes, m'est décidément très, voire terriblement agréable. Le style aussi, ce vagabondage ô combien féminin entre les questions et les remarques plus gentilles à mon égard. Tu peux remarquer la tendance séductrice de mes prolégomènes.
De nature à ne pas laisser une interrogation en suspens, je me fais un point d'honneur d'y répondre.
Avant tout, puisque tu me les réclames telle une groopie (j'espère l'ortho. orthodoxe...) en folie, je t'expédie, non pas une moulure de mes attributs, mais de simples copies de quelques-unes de mes chroniques pamphlétaires. J'ai également quelques vers dans ma gibecière, si le poète tu espères.
[Tu habites à Paris le plus souvent ou en province ?]
Ce château, fameux en effet, puisque j'y réside périodiquement depuis plus de dix ans, est situé dans la Somme, en plein Santerre dans un petit village de rien du tout que l'on retient sous le nom d’O.
Paris-O, Sandre, ça bourre comme pour Strasbourg : en période estivale je suis bien plus souvent sur mes terres ; le reste du temps, c'est en général kif-kif comme dit l'épicier arabisant.
[Que penses-tu de l’inceste ?]
L'inceste est la plus ignoble des choses lorsqu'elle résulte d'une contrainte physique ou psychologique, et le plus normal des phénomènes amoureux lorsqu'il provient du désir de l'autre ou de l'expérience. Le touche-pipi en est souvent la forme la plus juvénile. N'oublions pas que les papas, les mamans, les grands-papas et grands-mamans cromagnons s'enfilaient à qui mieux-mieux dans les grottes : ça faisait du bien et ça réchauffait du tonnerre. On dit, merci docteur !
[Pourquoi me parles-tu de ton « géniteur »... ton père c’est quelqu’un d’autre ?]
Mon géniteur, c'est mon papa de sang, celui qui a mis son engin dans le ventre de sa compagne. Mon papa de cœur, c'est l'homme qui est au château d'O et qui m'a apporté l'expérience humaine et tout un tas d'autres choses. Gros manuscrit en perspective si je dois tout te conter.
[Qu’espères-tu de ta vie ? Quelle est ta philosophie de la vie ?]
Je suis né dans la merde, comme chacun d'entre nous. Je veux essayer de mener ma vie le plus correctement possible pour parvenir à sortir de cette bauge. Ceci dit, la vie est en soi merveilleuse. Ce ne sont que les connards d'humanoïdes qui la ternissent.
En évitant d'être pompeux ma conception de la vie est simple : sens des responsabilités, courage, humour, fidélité, intégrité, honneur, et le tout sans Maréchal.
[Es-tu pour le mariage ?]
Plus que le mariage, qui n'est qu'administratif (encore que, je ne suis pas tout à fait d'accord avec moi) c'est la volonté de deux êtres de vouloir construire ensemble qui importe. Alors oui je suis pour, quand ça n'est pas fatalement voué au divorce.
[Es-tu royaliste ?]
Royaliste, non. Je trouve certes la plus ignoble des exécutions la décapitation de Louis XVI et impardonnable le génocide catho-vendéen perpétré par ces humanistes de républicains, je jouais aux chouans dans ma jeunesse (j'étais Georges Cadoudal, un des chefs chouans), mais je n'irai pas accrocher un cœur rouge avec sa croix sur mon poitrail pour les prétendants au trône que je trouve largement grotesques.
Mon papa de cœur se définit comme un aristocrate libertaire, on le définit (dans des ouvrages, des thèses...) comme un anarchiste de droite : je me retrouve assez bien dans ces définitions. Je te chatouille très fort car tu t'endors !
[Veux-tu que je t’apprenne à conduire ? (Histoire d’être sur tes genoux !) ]
Je veux bien de tes leçons particulières au volant. Mais sache que si tu te risques sur mes genoux, je ne répondrais plus de mes impulsions : le fossé sera alors notre point d'ancrage (et ta grotte le mien, si j'osais).
[Qu’es-tu prêt à faire pour la fille que tu aimes ?]
Tout, sauf si cela met en péril mon entreprise (car il y a des gens qui mangent grâce à elle) ou ma famille de cœur. En premier lieu, je suis prêt à lui faire du bien, beaucoup de bien, et sans culotte...
[Aimes-tu voyager ?]
Cela dépend où et avec qui. Une chronique y répond plus précisément : lire Allah et moi. Voilà que je me cite maintenant, où m'arrêterais-je ?
[Comment s’organise ton univers familial ?]
La dure question. Et bien à cet instant, je préférerais que ce soit ta douce voix qui me le demande. Alors je ne réponds pas ici, et j'espère...
[Cite-moi les dix adjectifs te qualifiant le mieux.]
Un peu d’ego. Les dix qui m'arrivent en direct : sensible, tenace, pamphlétaire, passionné, obsédé, intelligent, anxieux, distrait, naïf (parfois), généreux. Très partiel comme portrait ma foi. Mais j'espère bien te conquérir corps et âme par cette correspondance, hé hé ! Amitié, et ce sera déjà une réussite.
[En quoi te montres-tu romantique ?]
Romantique je crois l'être par mon physique ténébreux, et j'essaie de l'être par mes attentions délicates et sincères. On en pleurerait...

[As-tu des tabous ? des fantasmes ?]
Des tabous : quelqu'un me les fera peut-être découvrir, mais je ne crois pas en avoir, même en allant au plus ignoble. Tout sujet est abordable.
Mon seul fantasme actuel c'est de connaître l'amour absolu avec une femme. Pas demain la veille... Le reste, expérience sado-maso avec un gorille ou une guenon, sucer une écuelle pleine de tes déjections... on verra plus tard, je n'en suis pas encore là.
Pour les peintres visionnaires, je vais essayer de te dénicher de la documentation. Ils sont exposés à la galerie Râ à Paris.
[...]
[Le savoir-vivre t’est familier ?]
Le savoir-vivre oui, le pédantisme bourgeois non.
Mes questions : ta vie dans ses détails croustillants, ta recette pour ne pas adorer l'amour physique, tes projets pour l'avenir, le jardin secret que tu n'as jamais révélé, tes expériences les plus insolites. Voilà qui me comblera, pour un temps.
Avec cette envie goulue de caresser tes pages, je t'embrasse au plus profond, cette fois.
Dernière minute : en me relisant je me trouve un peu expéditif sur la fin. Avec toutes mes excuses, mon train arrivait.
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Pantin, Minuit 57 du 11.09.92
Foliette Sandre,
Que peu de lignes à te consacrer, et j'en suis désolé au tréfonds. Je suis occupé de tous côtés et je ne peux m'adonner à l'écriture comme je le voudrais. Très charmante et délicieuse ta longue lettre. Je répondrais à toutes tes interrogations lorsque le calme sera un peu plus présent.
Je tiens ma plume pour encore quelques mots. Espoir que tout se déroule comme tu le souhaites, que tes petits désagréments de santé s'évaporent...
Au plaisir de te lire.
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