Février

Samedi 1er février
Nouvelle embrouille dans l'Etat socialiste. Georges Habache, leader terroriste du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) est accueilli sur le sol français pour se faire soigner les boyaux de la tête. Version officielle : décision prise par quelques hauts fonctionnaires sur la de­mande expresse de Georgina Dufoix ; aucun des ministres n'était au courant. La presse, toute excitée, graisse ses caractères, l'opposition charge ses canons, le parti socialiste tortille du fondement, et l'Etat saigne ses lampistes.
La France vient encore de tendre son cul à la scène internationale et de recevoir sa dose en plein dans le mille. Ni première, ni der­nière fois. L’inconséquence des hautes instances po­litiques n'est certes pas nouvelle, mais l'accélé­ration du processus de déliquescence des mécanis­mes de l'Etat prend un tour inquiétant.
Johnny Hallyday, dans son dernier album, nous cause de ses problèmes personnels : « Un homme ça vieillit, un homme ça s'oubliiiiieuh ». Faut vite mettre des poupinettes, pépé !
Kate va bien, hormis ses petites choses qui l'ont fait souffrir. Nous devons avoir des conversations fréquentes pour dissiper les zones de floue et les hypocrisies ambiantes. Très tendre avec moi, elle devra mettre ses paroles en action.
Coup dur : Michel Leborgne m'apprend que sur les quatre commerciaux que nous devions ren­contrer lundi, suite au premier contact, aucun ne viendra. Autre chose ailleurs ou pas assez de fric pour assurer le mois de mise en route. Il va falloir redoubler de vigueur pour mettre en place ce ser­vice commercial, et resserrer la vis des autres services.

Mardi 4 février
Le Président Fanfan, frais comme un gardon malgré l’attaque de la maladie, est passé ce soir sur le petit écran. Face à lui Henri Sannier et Pa­trick Poivre d'Arvor, deux mastodontes du Vingt Heures, s'essayent aux titillations du Président. Raison d'être du tableau : la venue de l'infréquentable Habache, « terroriste à la retraite » comme nous l'a peint le Dieu croûton. Fanfan est visiblement irrité par le tintouin des manieurs de plume sur cette Affaire dernière cuvée. L'entretien avec les deux hommes de télévision est tendu, truffé de sous-entendus, parsemé de pics vengeresses ; tout cela pour un résultat bien maigre au goût des commentateurs zavertis : convocation vendredi du Parlement en session extraordinaire.
Dans ce fatras indigeste, il n’apparaît pas illogique qu'un Mitterrand accueille un Habache (« Qui se ressemble s'assemble » dit la sagesse populaire). Une seule chose me chagrine : le sentiment de trahison ressenti par nombre de victimes des attentats de 1985 et 1986. Pour le reste, cela fait belle lurette que les représentants de l'Etat, nichés dans ses différentes institutions, ont perdu l’essentiel de ce qui favoriserait la réaction salutaire face à la gravité de certaines situations.
Ce matin, promenade avec Alice dans le parc du château.

S'aérer le corps et les neurones ne peut être que salutaire pour la poursuite de nos actions. Nous profitons de ces quelques pas dans la rosée hivernale pour faire le point des nombreux problèmes à résoudre et de la barre à redresser très vite. Un bout de temps que je n'avais pas foulé le sol des champs et des grands bois. Grand bien de sentir se bousculer dans le crâne les images de l'enfance. Je me concentre un peu plus pour écouter les conseils judicieux d'Alice, mais très vite mon regard file vers les feux lieux de jeux.

Dimanche 9 février
23h30. Nuit courte avant de prendre mon baluchon pour retourner au labeur. Réunion prévue lundi après-midi avec les chefs des services promotion, commercial et comptable. Il faut insuffler une nouvelle vigueur aux deux premiers secteurs et miser sur les rentrées à court terme.
Compagnie de Kate une partie de ce week-end. Je remarque de fréquentes incompatibilités dans nos manières d'être et de penser. Notre attachement l'un à l'autre est profond, mais ça ne doit pas me faire perdre ma lucidité. Kate devra rapidement se jeter à l'eau et dompter son indétermination. Je dois normalement rencontrer ses parents avant la fin du mois.
Samedi, cérémonie d'ouverture des XVIe jeux olympiques d'hiver. Une jolie bande de fainéants qui ne pensent qu'à s'amuser, malgré tout ce qu'il y a à faire dans le monde. Du propre.

Dimanche 16 février
Hier soir. Je suis dans les conditions idéales pour passer la soirée au chaud dans ma chambre, et en solitaire. Kate s'en est allée faire un petit tour en Dordogne pour assister à une messe donnée pour la date anniversaire de sa défunte marraine. Mon père, que je devais voir ce samedi soir, m'appelle vers six heures pour m'informer qu'il est cloué au lit, pris de vertiges dès qu'il tente une levée. Je décide alors de me mettre à l'ordinateur pour corriger la partie de mes notes perso qu'Alice a tapée.
Musiquette du téléphone : je décroche et entends une petite voix hésitante qui demande à parler à « Monsieur Dacroze ». « Monsieur Decrauze ? C’est lui-même » je réponds avec la perspicacité qu'on me connaît. « Je ne sais pas si vous vous rappelez, ça fait deux ans, nous avons parlé dans un tgv, et vous m'aviez laissé votre téléphone. » Je situe le personnage immédiatement : fille déchirée qui m'avait raconté ses tourments. Emu et lourd d'une trique qui n'avait jamais servi à l'époque (juillet ou août 90) j'avais été légèrement entreprenant et je lui avais écrit sur un bout de Kleenex mes coordonnées.
Vingt dieux quel retour ! Si elle m'appelle, c'est qu'elle ne va vraiment pas. Elle m'explique qu'elle a besoin de parler à quelqu'un, ne supportant pas (tout en la recherchant) la solitude. Aïe : moi plus dispo madame ! J'accepte de la rencontrer, tout en lui précisant d'entrée que j'aime une jeune femme et qu'il est hors de question de jouer des attributs avec elle. Bien compris.
D'une nature excessivement gentille, je me rends chez elle. Nous restons cinq minutes, le temps de me désaltérer, puis je lui propose d'aller manger dehors. Nous discutons à bâtons rompus : ses problèmes en tous genres, son désespoir, mon amour de Kate, mes activités... J'essaie tant bien que mal de lui remonter le moral.
Son scénario est classique : drame d'une première histoire d'amour manquée, et puis la galère en solitaire. A 28 ans, elle n'a rien construit et se retrouve dans un milieu professionnel riche en débiles légers : les préposés des postes. Dramatique gâchis d'une paumée pleine de contradictions. Seul point positif : elle reconnaît en moi un « être exceptionnel ». Minuit et demi passé, je prends un taxi pour retourner à mon dodo.
Plan professionnel : lundi, réunion avec les chefs de service, Leborgne, Dugant et Arheux, et Déoles comme chargée de mission. Chacun fait le point de son activité. L'objectif du mois : faire de l'argent à court terme. Il faut se battre pour réaliser un chiffre conséquent et mettre très vite en place le service commercial qui reste embryonnaire depuis septembre 1991.
La France est rongée par le chômage. Le mois dernier, nous avons passé pour près de 10 000 F d'offres d'emploi dans plusieurs journaux : peu, voire pas de réponse. Avec leurs garanties sociales extravagantes, les socialistes ont fait du pays un nid d'assistés qui n'ont nulle envie de retrousser leurs manches.

Lundi 17 février
Dans le train de 6h44, destination Amiens. Je me sens frais comme un gardon par ce matin nuiteux.
Dimanche, à minuit moins le quart, n'entendant rien venir des Telecom, je décide d'aller sonner trois coups chez ma petite amie Kate. Habituée à rendre coup sur coup, ma petite chérie ne tarde pas à se manifester. Tendre et amoureuse, chuchotant des « je t'aime » à vous émouvoir un don Juan blasé et converti à l'érémitisme, Kate m'écoute narrer mon périple du samedi soir. Très touchée par ma disponibilité à aller consoler une âme en peine. Nous nous quittons l'oreille chaude des intonations de l'être aimé.
Vu hier mon père. Il m'apprend qu'une radio parisienne (fip) a annoncé que des astrophysiciens auraient découvert un trou noir formé au cœur de notre galaxie. Loin de prendre ça pour une histoire salace saucée, très facilement sujet aux angoisses métaphysiques, il s'est demandé si telle serait la réalisation de la prédiction nostradamusienne d'apoca­lyp­tique fin du monde.
Calculs faits, le trou se déplaçant à la vitesse de la lumière, nous avons encore un peu de temps : 10 000 ans avant qu'il nous atteigne. Il est même possible que d'ici là, repu, il explose. De toute façon, il n'y aurait pas grand changement, pour notre civilisation de l'entassement, à se retrouver concentrée dans une fente cosmique.

Pour en revenir à des choses plus mesquines, pauvre mortel que je suis, je constate que notre monde poursuit sa tourmente infernale.
Alors que je suis douillettement assis dans un wagon sncf, alors qu'à mes côtés une étudiante lit La République de Platon, et ce sans broncher, le chaos se généralise.
Ainsi l'Algérie qui joue, depuis quelques semaines, au feu et au sang. Pour avoir un exemple de la tartuferie du système démocratique, il suffit juste de traverser la puante Méditerranée. La partie du peuple inspirée par les Mollah, le FIS et les intégristes activistes peuvent se carrer bien profond leur carte d'électeur et aller se revoiler. Nos bons penseurs hexagonaux parlent d'absence de culture démocratique, expliquant la nécessité d'une dictature transitoire, le temps de faire la peau à tous ces islamistes. Au final, la solution est lumineuse : marquer au fer rouge tous les contempteurs de la démocratie, les entasser dans des camps et y foutre le feu, par Toutatis !

Jeudi 20 février
Ce matin, à huit heures pétantes, je me pointe à la Sorbonne pour y subir l'épreuve (examen blanc) de droit fiscal. La précision de mes connaissances étant très aériennes, j'ai du me raccrocher au petit, mais costaud, code Dalloz. J'espère limiter les dégâts.
Le service commercial de la seru doit intervenir très vite pour rapporter de la facturation fraîche. La promotion voit son chiffre d'affaires décliner ce qui provoque un décalage entre l'argent que l'on fait rentrer et l'émission de nouvelles factures. Avec Michel, préparation de son emploi du temps pour mars. Gros forcing pour aérer un peu les finances.
Livraison, mardi prochain, d'une machine à relier MR77 de chez Jud. Ce matériel doit nous permettre d'activer notre politique de réassorts puisque nous pourrons très rapidement ressortir un titre en rupture de stock à un très petit nombre d'exemplaires.
Longues discussions au téléphone avec Kate aujourd'hui. Je continue mon travail de fond pour la convaincre de ma vision quant à son attachement excessif à sa famille. Je dois rencontrer ses parents dimanche. Alléluia. Je serai courtois mais ferme.
Les J.O. d'Albertville encombrent toujours les ondes. La France vît à la chaîne ses succès et ses déceptions.
Côté actualité mondiale : déconnexion complète de ma personne. Trop à faire pour suivre les singeries répétitives d'ici-bas.

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