Mai/Juin

Vendredi 1er mai
Petit changement de programme : visite du château d'Au cet après-midi avec Heïm, Vanessa, Alice, Hubert, et Karl.
Le petit village aime son château. Sans grille, il n'a fait l'objet d'aucun vandalisme. Bâtisse du XVIIIe siècle, il domine son peuple en toute bienveillance. Nous le découvrons derrière un immense marronnier et quelques autres gros arbres. Dans son cocon vert, il charme de suite. Heïm nous le fait découvrir avec tous les travaux qui le transfigureront dans les années qui viennent pour en faire le nid rêvé : ajout d'une aile sur le côté gauche, d'une tour à l'arrière, aménagement d'un deuxième étage confortable à la place actuelle du grenier, et multiples changements de toutes sortes. De chaque côté du château, deux allées bordées d'arbres lui donnent toute sa majesté et insufflent une sérénité esthétique au lieu. A l'arrière, parc et bois en friche. Château final ou pas, j'y suis déjà passionnément attaché.
Je retourne ce soir à Pantin pour être de bon matin à Eurodisney, une demie heure avant l'ouverture. Journée de divertissements pour Maddy, Sally, Alice, Hermione, Hubert, Karl et moi. En espérant que le ciel ne nous dégringole pas sur la tronche, par Toutatis, et que le monde se fasse discret.

Lundi 4 mai

L. Decrauze _ 1992
Samedi, sans Sally, nous nous sommes aventurés dans l'univers d'Eurodisney. Le mégaparc de loisir, abondamment visité, a été l'objet de nos investigations de 9h à 23h30. Parmi les nombreuses attractions que nous sommes parvenus à faire, quelques belles réussites : un voyage dans l'espace avec l'impression d'être dans un vaisseau spatial engagé dans la guerre des étoiles ; Michaël Jackson en relief dans un film et incarnant le cap'tain’ Truc-Machin ; une maison hantée dans laquelle se succèdent des phénomènes splendides d'atrocités, et notamment l'utilisation fantastique des hologrammes pour donner forme aux revenants ; des montagnes russes aux élans américains, etc. Point faible : quasi impossibilité de se ravitailler en nourriture consistante, entre les petites maisons abritant des serveurs d'une lenteur escargotesque et des ambulants limités aux glaces et pop corn, nous n'avons pu correctement nous sustenter.
Pauvre de moi : non content de me trimballer avec un rhume tendance bronchite, je me suis récolté un méchant coup de soleil sur le bout du pif et le reste de la face. Le soir, au dodo, mon état apparaît piteux pour quelqu'un sortant d'un monde dit merveilleux. Voilà où l'on devrait mener les petits enfants quand ils ne sont pas sages.
L'impérialisme américain, prétendument détenteur du bonheur de l'homme, en a pris un grand coup dans l'aile depuis quelques jours. Rodney King, homme de couleur s’il en est, se trouve en période de mise à l'épreuve suite à une affaire de vol à main armée. Le bougre ne trouve rien de plus sérieux que de commettre un excès de vitesse. Quatre policiers blancs, en mal de défoulement, profitent de l'occasion pour s'accorder du bon temps : en clair, du tabassage de noir désobéissant. Film amateur de la scène : les policiers se retrouvent comme accusés au tribunal devant un jury blanc, et sont acquittés. Ni une ni deux, Los Angeles s'embrase depuis ses quartiers pauvres : l'émeute prend des proportions cataclysmiques. Des morts par dizaines (tuerie par balles, lynchages, incendies) des blessés par milliers, des destructions pour trois milliards de francs (cinq mille bâtiments en cendre) : les p'tits gars ont fait du bon boulot. Bush envoie marines et militaires : le calme revient progressivement. Avant de faire accroire que son pays est le nombril du Nouvel Ordre international, le président américain devrait s’intéresser aux carences éthiques qui minent son pays.

Mardi 5 mai
La connerie a ce soir été sanctionnée par la camarde.

Un match de football, la finale de la coupe de France entre l'équipe de Bastia et l'Olympique de Marseille, avec des supporters surchauffés par la bataille annoncée autour du ballon rond, et un stade de Furiani dont on a voulu doubler la contenance en crétins. Résultat : juste avant le coup d'envoi, effondrement des tribunes ; plus d'une dizaine de morts et plusieurs centaines de blessés. Pour être honnête, le drame en lui-même me laisse indifférent, morts d'ici ou d'ailleurs, ce soir ou dans vingt ans... En revanche, ce qui me navre, c'est l'aboutissement funeste de la Bêtise cathédralesque de ce genre de manifestation préparée à la va-vite. Etant donné l'émotion populaire que cet événement suscitera, les politiques ont pris les devants : message compatissant du vieux Fanfan, minute de silence chez les députés... L'arsenal dramaturgique est sorti.
Nous attendions à la seru pour aujourd'hui un olibrius de la direction du travail. Rien à l'horizon.

Mercredi 6 mai
Comme prévu le tintouin a été d'enfer. Gros titres dans la presse, éditions spéciales des médias, déplacement du président, constitution d'une commission d'enquête... Ce que j'ai parfois entendu de personnalités comme Tapie est ahurissant : « Et pourtant, on leur avait bien dit de ne pas taper des pieds ! ». Alors évidemment, c'est bien fait pour leur gueule. Absurde.
Marlène Dietrich, l'ange bleu aux grands panards (vision que j'ai gardée d'elle dans un dessin animé de Tex Avery) a rejoint les cieux. Je trouve extraordinaire qu'une femme comme elle ait assumé sa vieillesse (90 ans avant de rendre l'âme) sans s'étaler sur la place publique.

Vendredi 8 mai
Dans le train, de retour vers Paris. Un intrus, puant de la clope, me fait chier les tympans à déblatérer des conneries.
Aujourd'hui, journée physique à retaper le parc du château. Chacun à sa tâche : tonte, ratissage, désherbage, peinture. Pour ma part, toute la journée sous haute pression : début par le nettoyage du tour du château au kärsher, fin au pistolet à peinture.

Jeudi 21 mai
Les examens qui approchent ne me laissent décidément pas de temps pour narrer mes journées. Tant d'événements sont arrivés depuis : mon retour avec Kate au pays d'Eurodisney, mes premiers frissons dans la piscine du château, le financement pratiquement acquis du château et des travaux par deux banques, la confirmation du projet de constitution du Groupe Ornicar, GIE dont je serai l'un des vice-présidents...
Dans quelques heures, mes derniers TD (travaux dirigés). L’année universitaire est passée comme un éphémère. Les relations avec mes collègues de maîtrise n'auront rien donné. Quelques contacts à durée limitée, tout au plus. Entre désir et répulsion, je n'aurai jamais un sens très développé de la relation humaine. Toujours tourné plus volontiers vers une solitude contemplative.
L'actualité mondiale nous fournit ses excréments habituels.
Certaines guerres m'inspirent plus que d'autres. La serbo-croate ne m'arrache pas un battement de cil. D'abord je n'y comprends strictement rien. Ensuite je n'ai nulle envie de m'informer sur les étripages qui y ont lieu.
Les olibrius de la politique française sont tous focalisés sur la ratification du Traité sur l'Union européenne signé à Maastricht. Par une décision du 9 avril 1992, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à notre Loi fondamentale certaines dispositions du traité. L'ECU sera à terme notre monnaie à tous. L'Europe qui se dessine donne à des instances technocratiques le pouvoir d'uniformiser dans un nombre croissant de domaines.
Ce soir Le Pen est l'invité du Droit de savoir. Face à lui, quatre journalistes brûlants d’en découdre : Poivre d'Arvor, Villeneuve, Sannier et Carreyrou. Ils ont concocté des documents pernicieux pour atteindre de biais le président du FN. Ainsi le mystère du bandeau : à l'œil droit puis à l'œil gauche, ou le contraire. Le Pen doit raconter en long et en large les mésaventures qui lui causèrent le désorbitage d'un œil, puis une cataracte de l'autre quelques années plus tard.

Samedi 23 mai
Cet après-midi, examen de droit civil (contrats spéciaux, cours de M. Mayer). Pendant trois heures, dans la chaleur moite de l'Amphi IV du Panthéon, il faut gratter sur un cas pratique bichonné par notre professeur. Entre autres domaines abordés : la promesse unilatérale ou synallagmatique de vente, la rescision pour lésion, la non conformité, le vice caché... Suant de tous mes pores la première demie heure, je me dépatouille peu à peu de ces marais juridiques.
Venu à l'examen avec Hubert, qui passe la même matière avec un commentaire d'arrêt, nous rencontrons Anne L., petit bout de bonne femme toute en finesse, très gentille, que je connais depuis deux ans, avec qui nous faisons un brin de causette. Je profite de ce rassemblement estudiantin pour retrouver des figures perdues de vue depuis plusieurs mois. Notamment une certaine Aline L. qui a partagé la même classe que moi en première et en terminale. Très mignonne, sorte de poupée pulpeuse avec les formes bien placées, elle m'a toujours fasciné. Ce genre de créature qui épuise sa fraîcheur dans les soirées, cumule (peut-être) les petits copains et momifie son dé­senchantement par une désinvolture affichée. Pêcheuse d'instants plaisants, tout en menant brillamment ses études, elle semble jouer de sa plastique pour multiplier les relations. Bonjour-au revoir aura constitué l’essentiel de nos conversations. Je me souviens, l'année de la terminale, alors que je faisais un bout de chemin avec elle, lui avoir demandé ce qu'elle me répondrait si je lui proposais d'être ma petite amie. Visiblement gênée, elle me déclara ne pas savoir, d'une voix hésitante. Fin comme un troupeau de pachydermes, je partis d'un grand éclat de rire. Le charme (hypothétique de son côté) disparut aussitôt.
Je réconforte de mon mieux ma Kate en ce moment. Les échéances l'angoissent au plus haut point. Vendredi, petit saut chez elle pour travailler quelques heures en sa compagnie. Rien à faire, cette demoiselle m'émeut à chaque fois qu'elle se laisse aller à son naturel de femme. Un véritable bonheur que de travailler dans un cocon de tendresse.
Je retourne à Paris pour retrouver Michel Leborgne au Terminus, brasserie face à la Gare du Nord : nous rencontrons à 17h30 deux élèves de l'ISTEC, en deuxième année, qui seraient susceptibles de sponsoriser et de mettre en chantier quelques ouvrages de juin à août. Premiers contacts agréables avec deux jeunes dynamisés. Espérons que l'expérience portera ses fruits et que nous éviterons le fiasco du premier essai de constitution d'un service commercial. Michel Leborgne toujours aussi convivial - quoiqu’un peu sur les nerfs : il tente d'arrêter de tirer... sur les ciga­rettes - et ô combien sonore dans ses rires.
Je reviens un moment sur l'émission des quatre pseudo mousquetaires de l’information. Leur manière de procéder me dérange au plus haut point. Plutôt que de coller un poing dans la gueule de celui qu’ils vomissent, ils le gratinent de sourires jaunes et le démolissent, tentent de l’égratigner plus exactement, sournoisement. Le Pen aurait eu des hémorroïdes, ces pontes télévisuels auraient été là pour le dénoncer et traiter cela comme un crime fondemental.
Pour amadouer la bête, le quatuor déviant fait filmer chez lui des scènes de famille très douces, pleines de gentillesse et d'intelligence. Dans le même temps, un document en forme de réquisitoire contre ses agissements prétendus est monté. Le traquenard est prêt. Le Pen n'est certes pas un enfant de chœur ni un saint homme, mais l’exemple de déontologie donné par ces hommes d’expérience tient davantage de la malhonnêteté intellectuelle.
Un tel système d'information, qui semble contrôlé par le lobby Potes and Cie, résistera-t-il longtemps ? Lorsqu'un de ces journalistes subira la violence aveugle d’une population excédée, les médias retrouveront peut-être un visage plus sain qui donne l'envie de vivre.
22h50. Bernard Tapie a démissionné du gouvernement Bérégovoy où il avait revêtu la toge de Ministre de la Ville. En place depuis le 2 avril, il n'a pu faire oublier son passé d'escroc d'affaires. En l’occurrence, l'affaire Toshiba (dont le rachat lui aurait rapporté 13 millions de francs) risque de lui valoir une inculpation mercredi prochain. Le déjà feu ministre n'a pu tromper très longtemps sur la teneur de sa virginité existentielle. Bonne nuit le Tapie !
Demain, journée au Salon des Arts Graphiques qui se tient une fois tous les quatre ans. J’y vais avec Alice, Karl et Hubert.

Mardi 26 mai
Lundi matin, premier conseil d'administration du GIE Ornicar, en cours de constitution, avec Heïm comme président, Sally et moi comme vice-présidents, Alice, Vanessa et Karl comme administrateurs, et Sophie de K. comme secrétaire générale de séance. Grandes lignes du gie définies, lecture des statuts.
Aujourd'hui, à Pantin, je dois me plonger dans la comptabilité analytique et financière avant l'examen de demain matin. Matière de châtrés qui me fout les boules, grosses au moins comme celles que trimballe le martyr Tapie en voie de canonisation.

Jeudi 25 juin
Deux heures du matin. Je choisis cet instant de songes pour le commun des mortels : ma renaissance est foudroyante. Depuis quelques mois, je ne ressemblais à plus rien d'équilibré. Ombre fuyante, le cul mal calé : en perspective, l'irrémédiable déchéance existen­tielle.
Fatigue...

Samedi 27 juin
Tendre Chaos


Caracolant au risque d’attiser l’émoi,
Ardent, j’irise la rosée de tes iris.
Tout à l’affût, ta moue m’irrigue sans effroi
Hardi que je suis de mirer danser tes cuisses.
Ourle tes formes pour que j’y puise la substance
Unique de nos frôlements. Ainsi fut l’alliance.


Kate F.

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